14-17 juin 2021 Montpellier (France)
L'Attique sous l'Empire romain : territoire symbolique de la langue grecque ?
Decloquement Valentin  1@  
1 : Université Lille Nord (France)
Laboratoire Savoirs Textes Langage (UMR 8163)

Sous l'Empire romain, les intellectuels hellénophones composaient leurs textes et discours dans un dialecte attique à l'imitation des auteurs canoniques des Ve–IVe siècles av. J.-C. (Xénophon, Démosthène, Platon...), qui servaient de modèles dans les écoles. Ce phénomène sociolinguistique, appelé aujourd'hui l'atticisme, permettait à toute une élite de communiquer sur la base d'un capital culturel partagé. A travers l'espace méditerranéen, un lettré pouvait ainsi comprendre le message d'un autre, indépendamment des origines ethniques de chacun. A travers le temps, une œuvre restait en outre compréhensible pour la postérité. Socialement et spatialement, l'atticisme s'oppose ainsi à la koinê, la « langue commune » parlée par les classes populaires dans la partie orientale de la Méditerranée. Au-delà de cette diglossie, l'atticisme se distingue du dialecte attique des Ve–IVe siècles av. J.-C., en ce qu'il dépasse largement le cadre de l'Attique, le territoire athénien dont il est issu.

Nous étudierons les ambiguïtés identitaires propres à ce phénomène, en prenant l'exemple de trois auteurs actifs aux IIe–IIIe siècles apr. J.-C. Les deux premiers sont Favorinus d'Arles, d'origine gauloise, et Elien, issu de parents romains. Tous deux se définissent par le même paradoxe : leur maîtrise de l'atticisme les amène à se présenter comme authentiquement attiques et plus largement comme « Grecs ». Le troisième, Philostrate, cumule pour sa part les deux identités. Il est « attique » au sens ethnique et territorial du terme, ayant lui-même fait carrière dans la cité d'Athènes dont il était citoyen ; mais il est également « attique » d'un point de vue intellectuel, pour avoir bénéficié d'une éducation atticiste. Pourtant, il définit son appartenance au monde grec non parce qu'il est né en Grèce, mais parce qu'il se pense comme le digne successeur de Favorinus et d'Elien.

A première vue, il semble qu'à l'époque impériale, « attique » n'a plus rien d'une réalité ethnique et territoriale : le terme qualifie avant tout une identité socioculturelle, définie d'après le critère de la langue. Néanmoins, se dire « attique » n'a rien d'une métaphore morte : l'étude des sources textuelles révèle que le sens figuré du terme n'annule pas son sens premier – l'appartenance au territoire athénien. L'Attique se présente comme le territoire symbolique d'un capital culturel qui reste profondément attaché à ses origines locales, linguistiques et culturelles. Cette représentation territoriale de la langue permet aux intellectuels de se définir comme des citoyens, non pas de l'Athènes qui leur est contemporaine, mais de tout un monde athénien, idéalisé, qui transcende et l'espace et le temps. Quel que soit le lieu où la culture grecque prend vie, c'est un attachement aux racines attiques de l'éducation hellénophone qui s'exprime dans l'atticisme.


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