14-17 juin 2021 Montpellier (France)
L'altérité dans la langue. De la négociation entre hégémonie et diversité dans la poésie orale réunionnaise.
Philippe Glâtre  2, 1@  
2 : Université Sorbonne Nouvelle Paris 3
ED 622 : Sciencesdu langage
1 : Langues et civilisations à tradition orale
Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 : UMR7107, Institut National des Langues et Civilisations Orientales : UMR7107, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR7107

Issue d'une recherche en anthropologie langagière à La Réunion, ma communication propose une réflexion sur la négociation entre hégémonie et diversité dans un territoire marqué par les idéologies langagières. Avec l'invention de l'État-nation, la modernité occidentale a imposé une subalternisation des cultures périphériques, induisant à La Réunion un rapport diglossique et racialisé à la langue. Cette situation postcoloniale, façonnée par le mythe du monolinguisme, peut être éclairée par une étude comparative du slam et du fonnkèr, poésie orale réunionnaise, qui s'inventent entre mimétisme et résistance (Bhabha, 2007). Le slam, pratique occidentale, s'y positionne du côté de la francophonie, s'appropriant la langue nationale, quand le fonnkèr participe d'une résistance du créole réunionnais face à l'hégémonie du français (Jaffe, 2008). Deux territorialisations se confrontent alors : l'une se branchant sur une culture mondialisée, s'affirmant comme ouverte, l'autre revendiquant plutôt une tradition africaine et indiaocénique, minorisée, porteuse d'une diversité circonscrite, mais qui participe d'une renégociation du centre et de la périphérie (Baneth, 2006). Ce faisant, ces deux formes de poésie orale inventent des écopoétiques (Lorin, 2018) dans lesquelles les territoires sont représentés en fonction de la langue et des branchements culturels favorisés par leurs locuteurs. Le slam se revendiquant d'une pratique dite urbaine, alors que le fonnkèr propose souvent un discours agençant nature et société réunionnaises, créant un canon littéraire qui reterritorialise et réhistoricise la langue et la culture créoles. Dans la cohabitation de ces deux arts oratoires, ce sont donc deux altérités qui se créent, donnant lieu à des pratiques mimétiques aux objectifs différents. Quand les tenants du slam réunionnais font un pas du côté de la langue créole, c'est souvent pour subalterniser une culture qui lui préexistait, là où le fonnkèr peut mimer la poésie française autant pour se l'approprier que pour revendiquer une pratique autre, basée sur la langue minorisée, mais qui lui est propre (Courouau, 2006).

Références :

Baneth-Nouailhetas Émilienne, « Le postcolonial : histoires de langues », Hérodote, 2006, 120, n° 1, p. 48‑76.

Bhabha Homi K., Les lieux de la culture : une théorie postcoloniale, Paris, Payot, 2007, 414 p.

Courouau Jean-François, « La plume et les langues. Réflexions sur le choix linguistique à l'époque moderne », L'Homme. Revue française d'anthropologie, 2006, n° 177‑178, p. 251‑278.

Jaffe Alexandra, « Parlers et idéologies langagières », Ethnologie française, 2008, vol. 38, n° 3, p. 517‑526.

Lorin Marie, « Evolution du pekaan de Guélâye Âli Fall à aujourd'hui : vers la construction d'un canon paysager ? » in Sandra Bornand et Jean Derive (eds.), Les canons du discours et la langue : parler juste, Paris, Karthala (coll. « Tradition orale »), 2018, p. 223‑244.


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