14-17 juin 2021 Montpellier (France)
Pluralité des discours et des concepts de langue et de territoire dans l'État plurinational de Bolivie
Alexis Pierrard  1@  
1 : Centre de recherche inter-langues sur la signification en contexte
Université de Caen Normandie : EA4255, Normandie Université

Depuis l'adoption par référendum de sa nouvelle Constitution en 2009, l'État plurinational de Bolivie définit une nation indigène comme étant la collectivité humaine qui partage une identité culturelle, une langue, une tradition historique, des institutions, une territorialité et une cosmovision, et dont l'existence est antérieure à l'invasion coloniale espagnole (Art. 30.I. de la Constitution). Cette définition qui associe identité, langue et territoire de façon monolithique est venue sanctionner un mouvement de fond visant à la reconnaissance des droits des populations indigènes et à la préservation des langues autochtones tout en ouvrant la voie à une série de lois générales linguistiques et éducatives notamment. Dans un premier temps, on s'interrogera ici sur l'arrière-plan théorique et idéologique de ces évolutions législatives. Car tout comme la doctrine antérieure d'homogénéisation de la société bolivienne par la généralisation du monolinguisme espagnol (Martinez, 2010), il s'agit d'abord de constructions idéologiques contextualisables. En effet, bien que la loi générale de droits et politiques linguistique du 2 août 2012 reprenne très largement la liste des langues officielles du décret du 11 septembre 2000 (antérieur à l'arrivée du parti MAS au pouvoir), elle va beaucoup plus loin avec la définition de principes - descolonización, equidad, igualdad, interculturalidad, territorialidad - et d'autres concepts qui paraissent issus de la sociolinguistique tels que, entre autres, bilingue, plurilingue, normalisation, normativisation et standardisation linguistiques. Parmi ces concepts apparait une distinction loin d'être anodine entre « communauté linguistique » d'une part et « groupe linguistique » d'autre part dont la différence principale réside dans le fait d'appartenir historiquement, ou non, à un territoire. Cette subtilité sert à n'en point douter à opposer la langue espagnole aux langues amérindiennes mais pas seulement. Le fait de considérer le quechua comme la langue d'une communauté linguistique permet de justifier le contrôle des territoires où celle-ci est parlée, notamment les basses terres du département de Cochabamba où vivent d'autres communautés linguistiques minoritaires. Sur la base d'enquêtes de terrain auprès d'une centaine de locuteurs, on s'interrogera dans un deuxième temps sur la pertinence et l'acceptabilité des équivalences nation, indigène, langue et territoire, pour les quechuaphones boliviens qui représentent la majorité des locuteurs de langue amérindienne sur le territoire national. En effet, le quechua bolivien n'est pas historiquement associé à une notion d'indianité, bien au contraire, ni à un espace géographique mais plutôt à un espace social, le bourg (Pierrard, 2019). Nous aborderons ces questions depuis une perspective critique d'analyse de discours (Blommaert, 2005; Fairclough, 2013) en nous interrogeant sur l'échec constaté de l'EIB dans le maintien de la pratique du quechua et le peu d'incidence de l'arsenal juridique sur les pratiques langagières et les politiques linguistiques (Sichra, 2020) faisant de cette langue majoritaire une langue en danger (Pierrard, 2016; Sichra, 2006).

 

Références bibliographiques :

Blommaert, J. (2005). Discourse : A critical introduction. Cambridge University Press.

Fairclough, N. (2013). Critical discourse analysis : The critical study of language (2. ed., [Nachdr.]). Routledge.

Martinez, F. (2010). « Régénérer la race ». Politique éducative en Bolivie (1898-1920). Paris : IHEAL.

Pierrard, A. (2016). Contexte sociolinguistique du quechua sud bolivien. In K. Djordjevic & V. Garin (Éds.), Contacts (ou Conflits) de Langues en Contexte Postcommuniste et Postcolonial (p. 275‑301). PULM.

Pierrard, A. (2019). Sociolinguistique historique et moderne du quechua sud-bolivien. L'Harmattan.

Sichra, I. (2006). El quechua. La lengua mayoritaria entre las lenguas indígenas. Diversidad y ecología del lenguaje en Bolivia. La Paz: PROEIB Andes/Plural Editores, 171‑199.

Sichra, I. (2020). “Desde mi perspectiva, la escuela y sus actores son los responsables de...”. Cuando revitalizar es resistir luchando. In M. Haboud Bumachar, C. Sánchez Avendaño, & F. Garcés Velásquez (Éds.), Desplazamiento lingüístico y revitalización : Reflexiones y metodologías emergentes (Editorial Universitaria Abya-Yala, p. 157‑182).


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