14-17 juin 2021 Montpellier (France)
Langues, éducation, citoyenneté et démocratie en territoire haïtien
Frenand Leger  1@  
1 : Carleton University

Colonisée par la France entre le XVIIe et le début du XIXe siècle, Haïti a, depuis lors, toujours été perçue et traitée comme l'un des multiples « territoires de la langue française[1]», et ceci pour des motifs d'ordre historique, économique, politique et géostratégique suffisamment bien documentés. Vu que les termes « francophone et francophonie[2] » n'avaient pas encore été inventés à l'époque de la Révolution haïtienne de 1804, événement politique majeur dans l'histoire de l'humanité[3], Haïti peut donc être considérée comme un état « francophone » avant la lettre. Tout porte à croire que pendant les premières décennies du XIXe siècle, qui étaient censées être une période de transition entre la situation d'oblitération culturelle par le système colonial et la prise de conscience nationale, étape importante dans la cristallisation du sentiment national, le processus de formation d'une culture nationale basée sur des institutions sociales authentiques a échoué en Haïti. Un fait probant réside dans la signature de l'Acte de l'Indépendance écrit entièrement en français et de l'usage de facto exclusif de cette langue dans les affaires de l'État et dans les services publics adressés à une population dont plus de 90 % sont des locuteurs créolophones unilingues. Selon les estimations les plus crédibles[4], il n'y aurait en fait que 2 à 3 % de femmes et d'hommes résidant sur le territoire d'Haïti à posséder un niveau de compétence langagière suffisant en français pour qu'ils soient considérés comme de véritables francophones. Comme le français a été la seule langue officielle en Haïti jusqu'en 1987, on peut dire que la défaite des troupes françaises de Napoléon par les Bossales et les Créoles de l'armée indigène a paradoxalement servi à la création du premier état-nation postcolonial négro-africain soi-disant « francophone » au monde.

Il s'agit dans ma communication d'examiner certains mécanismes du sous-développement d'Haïti et des pratiques de domination sociale liées à l'usage des langues sur le territoire national. Je propose de démontrer, dans une perspective interdisciplinaire, comment la langue française comme institution sociale a toujours été utilisée en Haïti, non pas promouvoir le développement humain, la diversité et la pluralité linguistique à travers un système politique réellement démocratique, mais pour exclure la majorité des Haïtiennes et Haïtiens à la citoyenneté, c'est-à-dire à leurs droits civils et politiques. La perpétuation du système capitaliste despotique a servi en effet à maintenir la majeure partie de la population haïtienne dans une condition de pauvreté extrême et de quasi-esclavage. Ce sera aussi l'occasion de dévoiler la « propagande pour la langue française » et un certain nombre de spéculations formulées dans des discours pseudo-scientifiques en ce qui a trait à la situation linguistique en Haïti[5].


[1] Xavier NORTH, « Territoires de la langue française », Hérodote, 126, 2007/3, p. 9-16.

[2] Onésime RECLUS, France, Algérie et colonies, Paris, Hachette, 1886.

[3] Laënnec HURBON, « La Révolution haïtienne : une avancée postcoloniale », dans Michel Hector et Laënnec Hurbon, Genèse de l'État haïtien (1804-1859), Paris, La Maison des sciences de l'homme, 2009, p. 65-75.

[4] Michel SAINT-GERMAIN, « Problématique linguistique en Haïti et réforme éducative : quelques constats », Revue des sciences de l'éducation, 23, 1997/3, p. 611-642.

[5] Frenand LÉGER, « Réflexions sur la situation linguistique en Haïti : entre propagande et discours scientifique » dans Kristin Reinke, Attribuer un sens. La diversité des pratiques langagières et les représentations sociales, Presses de l'Université Laval, Collection : Culture française d'Amérique, 2020, p. 263-300.


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