14-17 jun. 2021 Montpellier (Francia)
Gascogne versus Occitanie : l'anti-occitanisme comme marqueur identitaire ?
Céline Piot  1, 2@  
1 : Laboratoire CEMMC - EA 2958
Université de Bordeaux Montaigne
2 : Lab-E3D (EA 7441)
UB

Résumé :

Comme en Provence ou en Auvergne, une querelle séculaire prévaut en Gascogne entre les partisans de l'occitan et les tenants de la spécificité du gascon, voire du béarnais. Il s'agit d'un véritable débat idéologique concernant le nom de la langue parlée en Béarn et en Gascogne ainsi que sa graphie, c'est-à-dire en réalité son appartenance à l'ensemble plus large de langue occitane. Alors que, pour les occitans, le gascon et le béarnais – sous-dialecte peu et mal défini du gascon – constituent la langue occitane, pour les « béarnistes » en revanche, leur langue est une langue à part entière différente des autres « langues d'oc » (le provençal, le languedocien, le limousin, l'auvergnat...) – le pluriel étant pour eux primordial. Chacune de ces langues possèderait son nom naturel, c'est-à-dire celui du territoire où elle est parlée, et l'occitan n'existerait donc pas puisque l'Occitanie n'a jamais existé et n'existe pas. Par conséquent, pour les « béarnistes », l'occitanisme ne repose sur rien. Toujours d'actualité, ce conflit linguistique est alimenté par un certain nombre de publications inspirées par une association, l'Institut béarnais et gascon, quoique leurs auteurs en soient maintenant à se distinguer les uns des autres pour les besoins de leur cause – d'aucuns se voulant plus béarnais, d'autres béarnais-gascons, d'autres encore tout simplement gascons. Comme souvent quand une langue est sans État, la querelle se polarise sur des questions de graphie.

Dans cette contribution, il s'agira par conséquent de se demander de quoi cette obsession graphique est le symptôme. La résistance à la normalisation linguistique est-elle seulement le signe d'une loyauté sentimentale à un parler local perçu comme authentique et celui du refus de ce qui est vu comme une entreprise de réduction, voire d'artificialisation de la langue – alors que le principe d'une langue standard pluricentrique empruntant à tous les dialectes est admis par la majorité des linguistes –, ou cette lutte contre un « impérialisme linguistique » revêt-elle une dimension plus politique préférant le particularisme à l'universalisme ? Il conviendra d'analyser la représentation que se font les Béarnais de leur territoire tenant à la très forte conscience historique de l'identité béarnaise et de comprendre pourquoi l'occitan est perçu comme l'instrument à la fois du parti de l'étranger et de l'ennemi intérieur. Ce qui reviendra à interroger également la relation entre les concepts de territoire et d'identité, essentielle aux yeux des « béarnistes ». Pourtant, associer systématiquement identité et territoire c'est à la fois oublier que la dimension spatiale n'est pas forcément constitutive de l'identité individuelle et que le fait de partager un territoire ne suffit pas à engendrer une identité unique. Interroger le rôle que peut jouer une langue dans la création d'un territoire identitaire quand celle-ci est instrumentalisée permettra in fine de questionner les ressorts de l'invention d'un territoire.

Si la thématique de cette contribution concernera pour partie le département des Pyrénées-Atlantiques, elle prendra également comme territoire d'appui celui des Landes (partagé entre la Chalosse plus « béarniste » et la Haute Lande forestière du « gascon noir » – le parlar negue), département où, selon différentes enquêtes sociolinguistiques, l'appellatif « gascon » prédomine en tant que nom donné à la langue, loin devant « occitan » mais aussi loin devant « béarnais ». La controverse entre régionalistes et occitanistes peut sembler n'être qu'une préoccupation de quelques-uns (linguistes, sociolinguistes, historiens, géographes). Il n'en est rien, car sur quelle langue fait-on porter une politique linguistique ? La question est majeure.

 

Bibliographie principale :

- Barraque, Jean-Pierre & Thibon, Christian (2004). Identité et territoire : un essai d'exploration conceptuelle. Dans Les variantes du discours régionaliste en Béarn, Pau : Éditions Gascogne.

- Blanchet, Philippe (2012). L'identification des langues : une question-clé pour une politique scientifique et linguistique efficiente. L'exemple des catégories « béarnais, gascon, occitan ». Modèles linguistiques, n°66 (dossier « Langues et cultures régionales en France : Béarn et Gascogne »), p. 17-25 [en ligne : https://doi.org/10.4000/ml.282].

- Boyer, Henri & Gardy, Philippe (dir.) (2001). Dix siècles d'usages et d'images de l'occitan. Des Troubadours à l'Internet, Paris : L'Harmattan.

- Giblin, Béatrice (2002). Langues et territoires : une question géopolitique. Hérodote, n°105, t. 2, p. 3-14.

- Guermond, Yves (2006). L'identité territoriale : l'ambiguïté d'un concept. L'espace géographique, n°35, t. 4, p. 291-297.

- GuÉrin-Pace, France & Filippova, Elena (dir.) (2008). Ces lieux qui nous habitent. Identités des territoires, territoires des identités, La Tour-d'Aigues : Éditions de l'Aube (coll. « Monde en cours »).

- JavaloyÈs, Sèrgi (2015). Au nom de la langue, Landorthe : Reclams (coll. « Clams », n°3).

- Lartiga, Halip (2011). Gasconha lenga e identitat, Orthez : Per Noste.

- MilhÉ, Colette (2008). Pragmatique de l'utopie occitane. Le point de vue béarnais. Thèse de doctorat en ethnologie (sous la direction du Pr. Bernard Traimond), Université de Bordeaux 2.

- Saez, Jean-Pierre (dir.) (1995). Identités, cultures et territoires, Paris : Desclée de Brouwer (coll. « Habiter »).

- Sagnes, Sylvie (2012). Unité et (ou) diversité de la (des) langue(s) d'oc : histoire et actualité d'une divergence. Lengas. Revue de sociolinguistique, n°71 (dossier « Marge linguistique, pouvoir, statuts et polémiques »), p. 51-78 [en ligne : https://doi.org/10.4000/lengas.346].

- Tacke, Felix (2016). La dimension éthologique de la « territorialité linguistique ». Cahiers du Groupe d'Études sur le Plurilinguisme Européen, n°8 (dossier « Langue(s) et espace ; langue(s) et identité »), Strasbourg : Presses universitaires de Strasbourg [en ligne : http://cahiersdugepe.fr/index.php?id=2899].

- Viaut, Alain (dir.) (1996). Langues d'Aquitaine. Dynamiques institutionnelles et patrimoine linguistique, Pessac : Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine.

- Viaut, Alain (dir.) (2007). Variable territoriale et promotion des langues minoritaires, Pessac : Éditions de Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine.

- Viaut, Alain & PailhÉ, Joël (2010). Langue et espace, Pessac : Éditions de Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine.

 


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