Principale ville de Belgique et capitale du pays, Bruxelles est généralement connue comme étant la « capitale de l'Europe » dans la mesure où elle héberge la Commission européenne et d'autres institutions ou activités majeures de l'Union européenne. C'est aussi le siège de nombreuses organisations internationales au-delà de l'UE, en particulier celui de l'OTAN (Organisation du Traité de l'Atlantique Nord) et de la CMT (Confédération Mondiale du Travail). C'est enfin le deuxième centre de relations diplomatiques au monde après la ville de New York. Historiquement et géographiquement, Bruxelles est une cité flamande, mais depuis le XIXe siècle, c'est un espace où la majorité des habitants sont francophones. Officiellement, c'est un territoire bilingue où toutes les communications administratives se font en néerlandais et en français. Mais de fait, par son histoire migratoire, son ancrage international et ses spécificités locales, c'est un lieu de plurilinguisme, une sorte de tour de Babel des temps post-modernes, où l'anglais notamment semble jouer un rôle de plus en plus visible dans différentes configurations et avec de multiples implications.
Cette singularité et cette complexité nous invitent à réfléchir aux caractéristiques du paysage sociolinguistique bruxellois par le biais de cette interrogation : quelle(s) langue(s) pour quel(s) territoire(s) ? Nous entendons par langues les différents parlers, institutionnellement reconnus ou pas, utilisés par une communauté linguistique telle que la définit Labov (1976), à savoir « un groupe qui partage les mêmes normes quant à la langue ». Et nous considérons comme territoires des espaces géographiques, administratifs ou symboliques, dans lesquels une collectivité organise son existence, en nous rapprochant de la conception défendue par Di Méo (1996) dans une perspective sociale et culturelle, selon laquelle « le territoire est créé par l'appropriation d'un espace par des groupes ayant une représentation d'eux-mêmes et de leur histoire ». Nous explorerons donc ces divers types de territoires en contexte bruxellois en les reliant aux langues officielles qui leur sont attribuées mais également aux usages et attitudes linguistiques des locuteurs en situation.
Pour ce faire, nous envisageons de fonder notre étude sur une double démarche : d'une part, une enquête basée sur un questionnaire adressé à des habitants de Bruxelles, portant sur les langues qu'ils utilisent et les images qu'ils s'en font, en production comme en réception (Cf : Calvet & Dumont, 1999 ; Boyer, 2003) ; d'autre part, une analyse du paysage langagier à travers l'affichage public administratif ou publicitaire (Cf : Landry & Bourhis, 1997 ; Boudreau & Dubois, 2005). Notre objectif est de cerner, dans la mesure du possible, les fluctuations et les évolutions inhérentes aux différents territoires regroupés sous le nom de la capitale belge afin d'en mieux comprendre les nombreux enjeux identitaires dans une Belgique en proie à des questionnements existentiels et une Union européenne en pleine reconfiguration.