14-17 jun. 2021 Montpellier (Francia)
Langues régionales, langues de/en justice ?
Ronan Bretel  1@  
1 : ENS Paris Saclay
UMR CNRS 7220

Nous analyserons avec un regard juridique les rapports des langues régionales au territoire lors de leur expression dans l'enceinte judiciaire. Pour ce faire, nous nous concentrerons sur la mythique affaire « Quillevère » à propos de laquelle le Conseil d'État rendit un arrêt le 22 novembre 1985. Cette dernière remit à l'agenda du droit contemporain l'ordonnance de Villers-Cotterêt d'août 1539 qui dans son article 111 fait le lien entre le territoire judiciaire et le « langage maternel françois ».

 

Dans l'arrêt Quillevère, un objecteur de conscience rédigea pour des raisons politiques sa requête en refus de service militaire à la juridiction administrative en Breton. Celle-ci fut jugée non-recevable et le Conseil d'État invita son auteur à la réitérer en français, ce qu'il refusa au nom des particularismes linguistiques et identitaires de sa région. Nous analyserons en détail les conclusions du commissaire de gouvernement Latournerie qui firent à cette occasion un historique des rapports des langues de justice au territoire français et où le magistrat s'interrogeait sur l'applicabilité de l'ordonnance sus-citée, mais encore d'autres sources comme une ordonnance de Louis XII de 1510 ou en questionnant son devenir dans l'édit d'union avec le Royaume de France de 1532, avant d'aborder le sort d'un décret de la Convention. Au terme de cette généalogie judiciaire du Breton, l'auteur s'exprima toutefois en opportunité contre l'usage judiciaire du Breton au nom d'un principe général de « bonne administration de la justice » avec une langue unique de justice sur le territoire national.

 

Ce procès historique nourrira les discours de la doctrine mais aussi du législateur, notamment lors de la révision constitutionnelle de 1992 où l'article 2 du texte érigeât en « langue de la République » le français, et la loi Toubon affirma qu'elle est la « langue de l'enseignement, du travail, des échanges, et des services publics » mais affirme encore qu'elle est le « lien privilégié des États constituant la communauté de la francophonie ». Dans le même temps, les langues régionales sont saisies par le paradoxe d'une « patrimonialisation marginalisante » (cf. nos recherches ultérieures*).

 

Ces deux textes normatifs justifient encore aujourd'hui le refus de signature par la France de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires au nom du « principe d'indivisibilité de la république, d'égalité devant la loi, et d'unicité du peuple français ». Là encore le rapport d'inclusion et d'exclusion des expressions linguistiques minoritaires se joue précisément dans un rapport au territoire national qui ne saurait pour le politique que se jouer sur le « mode majeur » du français, quitter à folkloriser un patrimoine culturel de langues régionales.

 

*« Droit français des langues minoritaires ou le paradoxe de la patrimonialisation marginalisante »

Marginalité : échec ou utilité sociale ?, EME éditions (octobre 2018)

Également une communication préparée et reportée pour 2021 (cause COVID) : « Les expressions linguistiques minoritaires devant la justice française : inclusion et exclusion », Colloque international ''Langues minoritaires vocales ou signées et espaces inclusifs'', INSHEA, Paris (10-12 mai 2021)

 

 

 


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