Une méthode d'apprentissage d'une langue présente, dans son appareillage de lectures, de dialogues et d'exercices, un ensemble d'espaces, progressivement dessinés leçon après leçon et qui sont autant de lieux d'expression possibles proposés aux futurs locuteurs. Ces espaces s'organisent eux-mêmes dans une géographie définie par l'auteur du manuel qui construit un territoire fictionnel dont la fonction n'est pas uniquement référentielle ou pédagogique ; les territoires de l'apprentissage sont des systèmes sémiotiques.
Pour le breton, et suivant les méthodes étudiées, on verra donc Yann parler dans sa cuisine, Mathurin et Efflamm discuter le prix des petits cochons à la foire aux bestiaux ou l'on apprendra à écrire que Erwan est à Papeete et Aziliz à Paris. Toutes ces affirmations ne sont pas anodines et une analyse topocritique comparative de différents manuels d'apprentissage produits aux XXe et XXIe siècles pourra éclairer les interactions entre cette paralittérature et une réalité sociolinguistique bretonne changeante.
D'une part, nous nous intéresserons aux toponymes retenus par les auteurs de ces manuels qui produisent chacun leur propre cartographie du monde brittophone. D'autre part, nous analyserons les espaces d'expression mis en valeur dans ces manuels. Dans les deux cas, une comparaison diachronique soulignera, sans surprise, la minorisation de la langue bretonne au cours du XXe siècle, mais elle nous renseignera aussi sur l'évolution du profil des apprentis locuteurs et sur les transformations subies par la société brittophone, qu'elles soient spatiales, géographiques ou oniriques. Une comparaison synchronique nous révèlera les intentions glottopolitiques des auteurs qui ne nous disent pas seulement où l'on parle breton, mais où l'on devrait parler breton.