Si nous examinons un segment de discours comme « de France et de Navarre », nous pouvons déduire plusieurs interprétations. Si nous admettons comme en sémantique structurale que le sens est construit par la somme des relations sémantiques qu'entretiennent les mots entre eux nous obtenons une représentation de ce sens que nous pouvons reformuler de la sorte « quelque chose ou quelqu'un vient de France et de Navarre, ces derniers étant par déduction des territoires ». Toutefois, la linguistique situationnelle remarquera que nous avons besoin de connaître la situation d'énonciation. La pragmatique d'essence philosophique se demandera pourquoi le locuteur a eu besoin de produire cet énoncé. Bref, l'accès au sens d'un énoncé nécessite l'activation de connaissances qui n'affleurent pas à la surface de l'énoncé de façon explicite.
Ces connaissances sont considérées comme des « savoirs partagés » au sein d'une communauté linguistique. En effet, Haillet (2020) affirme que « l'attribution d'un sens à des discours oraux et écrits produits par d'autres locuteurs implique le recours – entre autres – à des connaissances « stockées » dans le cerveau humain. »
Cependant ces connaissances ne sont pas directement observables. Un premier problème consiste à trouver comment y accéder.
La « théorie des stéréotypes lexicaux » (Anscombre, 1994, 1996, 1998, 2001, 2002, 2004 ; Haillet, 2007, 2012, 2020) soutient que derrière les séquences discursives se trouvent des phrases stéréotypiques qui servent à mettre en relation la langue, la pensée et la réalité. Notre propos est d'étudier cette relation en analysant les expressions idiomatiques en usage dans quatre langues méditerranéennes : le kabyle, le français, l'italien et l'espagnol. Cette étude permettra de reconstituer les représentations linguistiques du réel. Nous viserons à répondre à la problématique suivante : Quelle influence exerce le stéréotype linguistique sur les représentations de la réalité ? Existe-t-il des paradigmes stéréotypiques à l'œuvre dans chaque langue et comment interagissent-ils avec la réalité ?
Nous partons de l'hypothèse selon laquelle le territoire méditerranéen étant commun les représentations linguistiques de cette réalité seraient similaires. Toutefois la culture ayant une influence sur la construction des stéréotypes, ces représentations tendraient à se singulariser.
Pour ce faire, nous présenterons dans un premier temps la théorie des stéréotypes. Dans un second temps, nous comparerons les représentations discursives surgissant des expressions idiomatiques des langues retenues afin de dégager les stéréotypes lexicaux à l'œuvre dans chaque langue pour comprendre les rapports entre culture et langues naturelles.