La translittération politique : le cas du bélarussien
La langue subit constamment une influence politique - tel est le postulat de l'approche glottopolitique et sociolinguistique (Jean-Baptiste Marcellesi et Louis Guespin). Non seulement les langues de l'empire étaient contrôlées dans le passé et sont aujourd'hui contrôlées par l'inertie, mais aussi toutes les autres langues souvent victimes des langues de l'empire (Louis-Jean Calvet). Le cas de la langue bélarussienne est typique, quoique moins connu en Occident : marginalisée, russifiée, réduite au niveau d'un dialecte ou d'une langue sans perspective. Le cas du bélarussien reflète toute l'histoire de la domination de la langue russe en tant que langue de l'empire et de la marginalisation du bélarussien en tant que langue subordonnée à l'empire. Au stade actuel, tout indique la politisation de la question linguistique au Bélarus : les statuts des langues, le déséquilibre du bilinguisme en faveur de la langue russe, le nombre inégal de locuteurs de deux langues, le manque d'informations sur la langue bélarussienne en Occident et, au contraire, une reconnaissance facile de la langue russe (Nina Miačkoŭskaja, Louis-Jean Calvet, Claude Hagège). La question de la translittération des noms propres bélarussiens en Occident, en particulier en français, comme aucune autre, révèle avec succès la nature politique et géopolitique du conflit linguistique et indique que les experts français ignorent la langue bélarussienne et regardent le Bélarus à travers le prisme de la langue russe (Virginie Symaniec, Uladzislaŭ Ivanoŭ, Bruno Cadène).
Dans le même temps, il existe depuis longtemps des règles de translittération des langues slaves, y compris du bélarussien vers le français, approuvées par l'Association Internationale des Slavistes, mais les journalistes les ignorent complètement et décrivent hardiment tous les Bélarussiens en tant que Russes : pourquoi Loukachenko alors qu'il est Lukašenka, pourquoi Alexievitch alors qu'elle est Aleksievič, pourquoi Latouchko alors qu'il est Latuška, pourquoi Babariko alors qu'il est Babaryka, pourquoi Tikhanovskaïa alors qu'elle Cichanoŭskaja, etc. ? Les journalistes français russisent les noms propres bélarussiens (Bruno Cadène). La même chose est observée pour la transmission des noms géographiques du pays. Dans Libération, le Monde et le Courrier International les villes bélarussiennes sont décrites comme des villes russes, en fait ce sont Hrodna ou Harodnia et non pas Grodno, Homel et non pas Gomel, Viciebsk au lieu de Vitebsk, Barysaŭ au lieu de Borisov, Astraviec au lieu d'Ostrovets, etc. Outre les anciennes et claires recommandations des slavistes sur la translittération des noms propres bélarussiens et disponibles sur le site de la BNF, il existe d'autres recommandations approuvées par l'ONU et le Comité d'Etat du Bélarus sur les ressources terrestres, de géodésie et de cartographie (Virginie Symaniec, Uladzislaŭ Ivanoŭ).
Au niveau théorique l'étude est basée sur les concepts de conflit linguistique, de domination linguistique et de représentation des langues marginales sur la scène mondiale par les langues dominantes. Ces concepts ont été développés par des linguistes et des spécialistes de la culture tels que Jean-Baptiste Marcellesi, Louis-Jean Calvet, Virginie Symaniec, etc.
La méthodologie de recherche est basée sur l'analyse de la presse francophone moderne (2015-2020). L'analyse englobe la presse française, mais aussi belge, suisse, québécoise et tunisienne sur la question de la translittération des noms propres bélarussiens démontre que les éditeurs de journaux et magazines de langue française ignorent les normes de translittération adoptées par les slavistes et préfèrent une tradition qui ignore complètement le vecteur bélarussien, les changements géopolitiques et symboliques des dernières décennies.
L'analyse sociolinguistique des appellations du Bélarus et, en particulier de la langue bélarussienne, dans une perspective historique dans la presse française dans la période 1900-1945 constitue également une méthode importante.
Enfin, des consultations virtuelles sont également impliquées dans la recherche sous forme de demande et de précision d'information à M. Louis-Jean Calvet, à l'Office québécois de la langue française et à l'Académie française.
Cette étude sociolinguistique est une tentative d'actualiser le débat sur les connaissances sur des langues jusque-là peu connues, d'analyser et d'expliquer des stéréotypes et un manque d'information sur les cultures et les langues apparues après l'effondrement de l'URSS.
Références
- Jean-Baptiste Marcellesi et Louis Guespin, Pour la glottopolitique, Langages, vol. 21, no 83, 1986, p. 5–34.
- Louis-Jean Calvet, Linguistique et colonialisme, petit traité de glottophagie, Payot, 1978.
- Ніна Мячкоўская (Nina Miačkoŭskaja), Мовы і культура Беларусі. Нарысы. Мінск, 2008.
- Claude Hagège, Le Souffle de la langue : voies et destins des parlers d'Europe, Paris, Éditions Odile Jacob, 1992.
- Claude Hagège, Halte à la mort des langues, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000.
- Virginie Symaniec, La construction idéologique slave orientale : Langues, races et nations dans la Russie du xixe siècle, Petra, 2010.
- Jean-Charles Lallemand et Virginie Symaniec, Biélorussie mécanique d'une dictature, Les petits matins, Paris, 2007.
- Bruno Cadène, Bélarus ou Biélorussie ? Une question très symbolique, un enjeu démocratique, France Culture, 14/08/2020.
- Uladzislaŭ Ivanoŭ, Le lexique de l'autoritarisme de Lukašenka et de la guerre russo-ukrainienne : le cas de la langue bélarussienne / Populismo y propaganda: entre el presente y el pasado, Bajo la dirección de Łukasz Szkopiński & Agneszka Woch, Universidad de Łódź, 2020.