Entre 1998 et 1999, un conflit armé éclate entre les milices serbes et les insurgés albanais au Kosovo. Le processus de nettoyage ethnique initié par Milosevic a conduit aux viols de plus de 20 000 Albanaises, à la mort de milliers de Kosovar.e.s, et au déplacement de près de la moitié de la population du pays. Ce bilan n'est pas uniquement le fruit d'une offensive militaire. C'est aussi le produit d'un travail de propagande amorcé au début des années 90 par le gouvernement nationaliste serbe, et dont je vous propose d'analyser la structure et les effets.
A la politique d'épuration ethnique militarisée a précédé tout un travail de conditionnement discursif de l'intelligibilité politique des identités et de la sécurité. Cela a conduit dès le début des années 90 à la stigmatisation sécuritaire de la population albanaise, aboutissant à une situation d'apartheid social : répressions policières, licenciements massifs, fermeture des écoles aux étudiant.e.s albanais.e.s, fermeture de centres médicaux et stigmatisation des femmes albanaises qui ne pouvaient plus accoucher dans les services de maternité sans craindre pour leur vie et celle de leurs enfants à naître... Comment de telles mesures ont-elles pu être exécutées dans un Etat de droit ? Cela résulte en grande partie de la propagande nationaliste serbe qui a conduit à faire des Albanais.e.s du Kosovo des menaces contre lesquelles l'emploi de la force s'est justifié par le discours, liant identité et (in)sécurité.
Ce discours, dont je propose l'analyse, répond à un processus de securitization, tel qu'inauguré par Ole Weaver[1]. On peut le définir comme un processus linguistique qui participe à la construction discursive de la menace, visant à légitimer le recours aux armes contre une population, et conduisant souvent à faire de l'identité l'un des ressorts privilégiés de la stigmatisation sécuritaire. Le discours nationaliste serbe a également utilisé des leviers socio-politiques pour crédibiliser son action, et traduire sa métalepse sécuritaire. En effet, l'économie du discours a reposé sur un processus de catégorisation tel que Colette Guillaumin l'expose dans son ouvrage L'idéologie raciste [2]. Aussi, cette contribution sera l'occasion d'éclairer le concept de securitization parfois critiqué pour son caractère trop linguistique et peu circonstancié aux enjeux matériels, grâce à l'approche de C. Guillaumin qui nous propose une analyse matérialiste du langage.
En résumé, cette communication se propose donc d'analyser la mécanique du discours nationaliste de Milosevic dans le Kosovo des années 90 sous l'angle de la catégorisation et de la securitization pour mettre en exergue la façon dont le langage politique a réussi à manipuler et tracer des frontières entre le « moi » et l'autre, la sécurité et la menace, le légitime et l'illégitime... jusqu'à l'éclatement du conflit.