Après quelques tentatives de colonisation au XVIème siècle, la France débute la colonisation du nouveau monde au début des années 1600 avec la revendication de vastes territoires en Acadie et au Canada. D'autres colonies viennent ensuite s'ajouter à ces premières possessions au cours du XVIIème siècle dans les Antilles, puis dans l'océan indien.
Ces territoires, certes différents les uns des autres, sont néanmoins tous déjà peuplés par des autochtones. Lors de leur arrivée, les colons français, représentants du roi de France, missionnaires et marchands doivent apprendre à s'organiser avec ces peuples et surtout, à dialoguer avec eux. Tout échange commercial., toute alliance diplomatique implique une forme de communication. Or, les autochtones ne comprennent pas le Français. Les futurs partenaires de négociation doivent donc trouver un moyen d'échanger malgré cette barrière initiale de la langue.
Dans une première partie, nous comparerons les pratiques de communication entre colons et autochtones dans les colonies françaises. Comment se déroulent les premiers contacts ? En Amérique du Nord, la coutume est de former des « truchements », jeunes interprètes capables de comprendre à la fois les langues autochtones et le Français. Ce sont de jeunes gens issus des deux communautés (française et autochtone) qui passent l'hiver parmi le peuple dont il est nécessaire d'apprendre la langue. Ces truchements reviennent ensuite avec une excellente connaissance des langues autochtones, mais aussi des mœurs de ces tribus, permettant de faciliter les relations diplomatiques. Ces pratiques ont-elles également lieu dans les autres colonies, à Madagascar et dans les Antilles ou sont-elles une spécificité de l'Amérique du Nord ?
Dans une seconde partie, nous étudierons les traités de paix et d'alliance qui se développent entre les Français et leurs partenaires autochtones à mesure que les découvertes avancent dans le nouveau monde. Quel est le langage de ces traités ? Nous analyserons également le langage gestuel et symbolique du traité en prenant en compte toute la thématique de l'adaptation entre les peuples et des raisons qui poussent à cette adaptation. En effet, en Amérique du Nord, comme dans les autres colonies, les représentants du roi de France s'adaptent aux pratiques autochtones qui mènent à la conclusion d'un accord de paix. Parmi ces pratiques, qui dépendent du peuple avec lequel on négocie, nous pouvonsciter les colliers de wampums ou le calumet de la paix. Comment le droit français s'adapte-t-il à ce nouveau langage ? Pour quelle raison les représentants du roi de France acceptent-ils ces gestes qui ne font pas partie de leur culture et de leur éducation ? Nous constaterons que les traités de paix deviennent un véritable laboratoire de création langagière et juridique.
L'analyse du langage des accords et relations entre Français et autochtones se fera principalement par l'étude des sources primaires issues de ces échanges. Les archives gouvernementales concernant la Nouvelle-France au XVIIème siècle sont particulièrement riches[1].
Nous estimons, à l'instar de Quentin Skinner[2], qu'un texte, une loi ou un traité de paix ne sont pas des éléments autonomes mais font partie d'un contexte général qu'il est nécessaire de comprendre afin de permettre l'analyse du document en question. En effet, pour comprendre les écrits d'un auteur, il est nécessaire de connaître les différents facteurs qui l'ont influencé ainsi que la période historique durant laquelle il a vécu, ses buts et ses ambitions[3].
Lors de notre analyse des relations entre Français et autochtones, nous aurons recours à différents types de textes. Il s'agira de lois, de correspondance entre le ministère de la marine et ses colonies, d'écrits publiés par des missionnaires religieux, tels que les Jésuites[4] et qui représentent une mine d'informations au sujet des relations entre les peuples autochtones et les autorités françaises.Nous nous intéresserons aussi aux écrits d'auteurs tels que Flacourt[5] ou Charpentier[6] pour la colonie de Madagascar, colonie pour laquelle les archives sont de moindre importance que celles de la Nouvelle-France. En effet, les documents gouvernementaux ayant trait à Madagascar au XVIIème siècle se trouvent essentiellement dans la collection B1 (et suivantes) des Archives Nationales (ANOM). L'étude des ouvrages d'auteurs tels que ceux cités ci-dessus mais également des célèbres Champlain[7] et Lescarbot[8] pour la Nouvelle-France permet également d'offrir aux chercheurs des indices des pratiques en matière de négociations observées à l'époque des premiers contacts, tout en gardant à l'esprit l'objectif des auteurs lors de la rédaction de ces textes.
Afin d'étudier le contexte dans lequel ont lieu ces échanges, nous nous appuierons notamment sur les travaux de Gilles Havard[9], de Richard White, [10],de Christina Kullberg[11] et de Benoît Roux [12].
[1] Nous étudierons principalement des documents des séries A, B et C des Archives nationales, mais également quelques textes issus de la série F.
[2] Skinner, Quentin, « Meaning and Understanding in the History of Ideas », in : History and Theory, vol. 8, n° 1, 1969, pp. 3-53, p.50
[3] Skinner, Quentin, « Motives, Intentions and the Interpretation of Texts », in : New Literary History, vol. 3, n° 2, On Interpretation : I, 1972, pp. 393-408.
[4] Relations des Jésuites contenant ce qui s'est passé de plus remarquable dans les missions des pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, 1611-1672, Québec : Augustin Coté, 1858.
[5] Flacourt, Etienne de, Histoire de la grande isle Madagascar, composée par le sieur de Flacourt [...], Paris, Gervais Clovzier, 1661.
[6] Charpentier, François, Relation de l'établissement de la compagnie françoise [...], Paris, Sébastien Cramoisy & Sébastien Mabre-Cramoisy, 1666.
[7] Champlain, Samuel de, Œuvres de Champlain,[...], Québec : Geo.-E. Desbarats, 1870, t. I à V.
[8] Lescarbot, Marc, Histoire de la Nouvelle-France, suivie des Muses de la Nouvelle-France, nouvelle édition publiée par Edwin Tross, Paris : Librairie Tross, 1866, 3 vol.
[9] Havard, Gilles (voir bibliographie).
[10] White, Richard, The Middle Ground : Indians, Empires, and Republics in the Great Lakes Region, 1650-1815, Cambridge/New York : Cambridge University Press, 2011.
[11] Kullberg, Christina, « Langues étrangères et exotisme dans les récits de voyages aux Antilles au XVIIe siècle », in : Komodo 21, 11, 2019 et Kullberg, Christina, « La citation de l'autre: discours direct et altérité dans les relations de voyage des missionnaires aux Antilles au XVIIe siècle », Loxias: Littérature française et comparée, 2018.
[12] Roux, Benoît, Kalínago, Français et amérindiens dans les Petites Antilles au XVIIe siècle, Reims : Diss, 2019.