L'écrivain grec chypriote Antonis Georgiou publie en 2014 à Athènes son premier roman, Un album d'histoires, qui reçoit en 2016 le European Union Prize for Literature. À l'occasion de la mort d'une grand-mère à la campagne, le récit procède par cercles concentriques pour traiter successivement d'histoires familiales, d'histoires de villages et de l'histoire de l'île de Chypre. S'inspirant librement de récits de proches appartenant à diverses générations (Lavocat 2016), l'auteur entrelace les trames narratives pour donner à entendre une pluralité de voix (Meunier 2017).
La tension entre le singulier et le pluriel présente dans le titre Un album d'histoires est amplifiée en chiasme dans le sous-titre “une histoire avec 270 photographies d'albums de famille et d'autres sources”. Cette unité dans la pluralité se matérialise également, à travers les porosités entre l'oral et l'écrit, dans le passage du grec de Chypre (lieu de composition) au grec d'Athènes (lieu d'édition) dès le titre (le substantif “album” apparaît au singulier en grec chypriote dans le titre, au pluriel en grec standard dans le sous-titre), puis tout au long du texte qui est suivi d'un glossaire destiné au lecteur hellénophone non chypriote. En outre, la narration entre en dialogue au fil des pages avec de nombreux documents authentiques (Zenetti 2012) dont la source est précisée en fin de volume : extraits de journaux en grec standard, poèmes écrits ou chants traditionnels en grec de Chypre, recettes de cuisine écrites à la main, pages de cahiers d'écoliers ou encore courriels créent une mosaïque intergénérationnelle que viennent accompagner photographies prises par l'auteur ou issues d'archives privées, coupures de presse, affiches de films.
Cette communication se propose d'étudier comment, par des variations d'échelles, de l'individuel au collectif, du local au national, de Chypre au lectorat panhellénique, ce roman qui dans sa matérialité se rapproche d'un album illustré donne à lire, à voir et à entendre la diversité des représentations territoriales (Calotychos 1998) et des pratiques langagières (Yashin 2000, Stephanides 2011) sur une île que les soubresauts de l'histoire coloniale et postcoloniale ont divisée et éloignée du reste du monde grec.
V. Calotychos (dir.), Cyprus and its People. Nation, Identity, and Experience in an Unimaginable Community, 1855-1997, Boulder, Westview Press, 1998.
F. Lavocat, Fait et fiction : pour une frontière, Paris, Seuil, 2016.
M. Meunier, “Translating and Mapping the Many Voices in the Work of Niki Marangou”, Transtext(e)s Transcultures. Journal of Global Cultural Studies, 12, 2017.
S. Stephanides, “An Island of Translation”, Kunapipi. Journal of Postcolonial Writing and Culture, 33, 2011.
M. Yashin (dir.), Step-Mothertongue. From Nationalism to Multiculturalism: Literatures of Cyprus, Greece and Turkey, Londres, Middlesex University Press, 2000.
M.-J. Zenetti, “Prélèvement/déplacement : le document au lieu de l'œuvre”, Littérature, 166, 2012.