Le Cameroun est un pays situé en Afrique centrale. Il se caractérise, sur le plan linguistique, par une multitude de langues. Le pidgin-english est la première langue qui a marqué la présence de l'Occident dans cet espace social.
En effet, des études montrent que le pidgin-english était présent dans la côte camerounaise avant la période allemande et anglaise (Pandji Kawe (2011). Selon Mveng (1985), la présence portugaise à la côte du Cameroun date de 1472 (XVème siècle). On peut donc comprendre que la naissance du pidgin-english à la côte camerounaise remonte au XVème siècle. Sa proximité avec le pidgin du Nigéria n'est pas sans incidence sa la formation lexicale, mêlant l'anglais déformé, les langues camerounaises de la région du Sud-Ouest, les vestiges de l'allemand, certaines langues du Nigéria et le français. Pour Pandji Kawe (2011 : 2), le pidgin-english camerounais « prit très vite de l'expansion et joua d'ailleurs un rôle incontestable dans les interactions communicationnelles informelles et parfois formelles, entre les locaux d'une part, et entre les locaux et les puissances coloniales, à un niveau national et même international d'autre part ».
Après les interdictions successives de l'usage du pidgin-english camerounais pendant les différentes périodes allemande, britannique et française soldées par des échecs, puisque les populations majoritairement anglophones n'ont jamais cessé de l'utilser, cette langue a connu une dynamique remarque dans la clandestinité, puisqu'elle ne bénéficie d'aucun statut et fonction institutionnels. Ce qui est tout à fait normal car, ce n'est pas l'élite intellectuelle minoritaire qui fait l'existence d'une langue dans une société, c'est davantage « la masse parlante qui fait vivre la langue » (Zang Zang (2010 : 92). Sa dynamique s'observe aujourd'hui dans la communication médiatique et sociale au Cameroun.
S'il est convenu que la fonction primordiale des langues est de garantir des échanges verbaux entre les différents membres d'une communauté de communication et qu'elle relève d'un objet social, il est intéressant de s'intéresser aux différentes représentations que la société construit sur ces langues. Ces langues devraient être protégées comme des individus qui les parlent (droits des langues, Debono, 2013). Pour ce qui est du Cameroun, l'on dénombre environ 250 langues nationales, aux côtés des langues officielles (français et anglais). Dans ce décompte justement, les langues hybrides, nées au Cameroun, grâce aux contacts de langues, ne sont guère considérées ; notamment le camfranglais et le pidgin-english qui sont respectivement proches du français et de l'anglais. Ces deux langues hybrides présentent une dynamique sociale dans l'espace de communication médiatique et sociale du Cameroun. Notre réflexion se propose de réfléchir à la glottophobie institutionnelle du pidgin-english qui conduit à une volonté de sa dévalorisation.
L'étude prend appui sur un corpus de discours anti-pidgin construits par des autorités éducatives du Cameroun, précisément celles de la région du Sud-ouest. Il s'agit des plaques conçues et implantées dans des établissements secondaires et universitaires de cette région. Le but de l'analyse est de montrer que ces acteurs éducatifs s'inscrivent dans une logique jacobine, asociale et techniciste qui est d'ailleurs symétrique à celle adoptée par le colonisateur pour des langues africaines qui furent qualifiées de patois, au profit du français et de l'anglais (pour ce qui est du Cameroun). Notre analyse a pour cadre conceptuel la « glottophobie », définie par Blanchet(2016 : 45) comme « le mépris, la haine, l'agression, le rejet, l'exclusion, de personnes, discrimination négative effectivement ou prétendument fondés sur le fait de considérer incorrectes, inférieures, mauvaises certaines formes linguistiques (perçues comme des langues, des dialectes ou des usages de langues) usitées par ces personnes, en général en focalisant sur les formes linguistiques (et sans toujours avoir pleinement conscience de l'ampleur des effets produit sur les personnes ».
Généralement, les pidgins naissent dans des contextes sociolinguistiques qui se caractérisent par l'existence des langues idéologiquement stabilisées et dotées de pouvoirs reconnus par l'État. Les langues qui naissent dans ces contextes sociolinguistiques et à partir des langues valorisées sont considérées comme des formes dévalorisées. Pour les tenants du purisme linguistique, elles constituent une menace pour des langues politiquement et socialement reconnues. C'est le cas du pidgin-english au Cameroun qui existe aux côtés du l'anglais (et dans une moindre mesure, du français) ainsi que des langues nationales. La glottophobie est donc un cadre conceptuel idoine pour rendre compte du fonctionnement du rejet ou de la haine institutionnelle manifestée à l'égard du pidgin-camerounais. Ce champ conceptuel repose sur deux principaux fondements :
Le premier est le principe de la minorisation. Les mécanismes mis en œuvre sont, entre autres, la stigmatisation, le mépris, voire la péjoration des langues ou des variétés linguistiques jugées inférieures. Cette minorisation prend deux orientations (Blanchet, (2016): une orientation qualitative, consistant à déprécier une langue ou une variété de langue. La seconde direction est d'ordre quantitatif, puisque la stratégie consiste à réduire soit l'espace d'usage de la langue, soit le nombre de locuteurs. Pour Blanchet (2016 : 47-48), « le processus quantitatif de minorisation consiste à faire en sorte que ces pratiques et ces groupes humains deviennent ou soient maintenus en nombre le plus inférieur possible à d'autres pratiques et groupes ».
Le deuxième principe est l'hégémonie linguistique telle que présentée par Marcelessi, Bulot et Blanchet (2003) est redéfinie par Blanchet (2016) comme une domination qui montre plutôt aux dominés la nécessité d'abandonner une langue, un parler ou une variété de langue. Généralement, il est alors présenté au groupe dominé les avantages multiformes.
Notre étude est sous-tendue par trois questions fondamentales : Quel regard les autorités éducatives ciblées portent-elles sur le pidgin-english camerounais ? Quels en sont les mobiles ? Que devrait-on faire pour éviter cette glottophobie institutionnelle? Ces questions nous conduirons à scruter les discours anti-pidgin comme des actions de la glottophobie. Le corpus est constitué des plaques anti-pidgin, conçues et implantées par des autorités éducatives de l'Université de Buea et des établissements d'enseignement secondaire environnants. Elles ont été photographiées en 2011.