Les Cajuns (ou Cadiens ou Cadjins) constituent une communauté américaine francophone et minoritaire qui peuple l' « Acadiana », « le pays cadien », un territoire constitué de 22 « paroisses » au sein de l'état de Louisiane, baptisé le 6 juin 1971 par le parlement (« The general assembly »). Cet acte de reconnaissance territoriale tardif s'inscrit dans une dynamique de revitalisation identitaire de la francophonie louisianaise car la langue-culture cajun (comme celle des Créoles) est menacée de disparition depuis le début du XXe siècle. Albert Valdman parlait encore en 1997 de « variété moribonde du français en Louisiane » et Barry Ancelet, militant et professeur de folklore à l'Université de Lafayette, s'en inquiètait également en 2005 : « Des communautés de langues minoritaires partout aux Etats-Unis, y compris la nôtre, celle des Cadiens et des Créoles noirs du sud de la Louisiane, se trouvent encore au bord du gouffre de l'extinction ». Le français en Louisiane est sans nul doute en voie d'étiolement et encore aujourd'hui, inéluctablement, la francophonie s'amenuise malgré des politiques linguistiques éducatives qui valorisent et soutiennent le fait français.
La question identitaire est fortement liée aux processus d'identification associés au territoire, (l'Acadiana), aux enjeux de dénomination toponymique (le mot Acadiana évoque l'origine acadienne de nombreux Cajuns) et ethnonymique (auto et hétéro-désignations) ainsi qu'à la reconnaissance des langues vernaculaires et des singularités culturelles communautaires. Les militants de la « Cause cadienne » affirme que « la langue française telle qu'elle nous a été transmise de génération en génération est la source profonde de notre identité ».
Ainsi les dénominations « créole » et « cajun », polysémiques, ne vont pas de soi...elles font l'objet de négociations, de conflits car elles ont une histoire et que leur usage a des effets sur les représentations de la structure sociale. Les mots possèdent une force glottopolitique car leur nomination effectue nécessairement un choix. Ronald Creagh, spécialiste de la francophonie américaine évoque dans « Nos cousins d'Amérique. Histoire des Français aux Etats-Unis » (1988) une « guerre des nominations », un conflit social sur les mots à forte charge sémantique, plus particulièrement sur le désignant « créole » quant à la volonté de certains blancs franco-louisianais de conserver l'exclusivité de l'usage du nom propre communautaire « créole ».
Sybil Kein, créole de couleur affirme que « les Créoles de la Louisiane n'étaient pas, ne sont pas actuellement et ne seront jamais des noirs ou des Américains-africains. ».
Ce commentaire confirme la complexité des assignations identitaires. Les étiquettes dénominatives « officielles » sont transcendées par ce que Carmel Camilleri (1990, p.86) nomme l'« identité de valeur revendiquée » : « La constitution de l'identité de fait, constatée, est inséparable de la négociation d'une identité de valeur, revendiquée. » Les catégories de couleur, de langue, de culture...etc. ne sont pas figées, elles sont confuses et entremêlées, traversières, pour Sybil Kein. C'est ce que nous pourrions appeler une appropriation subjective de l'identité hors catégorisations ethno-typées. Nous aborderons dans cette communication les dynamiques identitaires à l'œuvre dans ces positionnements subjectifs et leurs enjeux ethno-sociolinguistiques, sur la base de productions poétiques vernaculaires et de témoignages recueillis localement auprès de sujets natifs.