La langue occitane n'est plus en sud-Aveyron une langue vernaculaire.
Dès le milieu du XXème siècle, la plupart des parents y parlaient déjà quasi-exclusivement français, la langue de l'école, à leurs enfants. Cependant, ceux dont l'occitan était la langue maternelle ont continué à l'utiliser chez eux, dans certains contextes de sociabilité, ou lorsque son lexique spécifique s'imposait. Ils ont ainsi transmis sinon son usage du moins sa connaissance : en 2020, alors que seuls 14% des habitants du Parc naturel régional des Grands-Causses en sont locuteurs, 22% comprennent parfaitement ou facilement l'occitan et 61% sont « locuteur ou occitano-imprégnés ».
D'après l'enquête sociolinguistique relative à la pratique et aux représentations de la langue occitane en Nouvelle-Aquitaine, en Occitanie et au Val d'Aran, impulsée par l'office publique de la langue occitane (OPLO, 2020) seuls 7% des habitants de cet espace géographique (18% en Aveyron) peuvent tenir une conversation en occitan. Cette proportion varie cependant très fortement avec l'âge : 22% des plus de 75 ans en ont la capacité, mais seulement 2% des 15 – 59 ans.
Aussi, alors que cette langue a presque disparu de l'espace public faute de locuteurs, seule l'école en occitan paraît pouvoir en assurer une transmission complète aux nouvelles générations, celle des parents n'en ayant plus la maîtrise à un niveau suffisant. Pourtant, les motivations des parents et enfants qui y ont recours ont été peu étudiées. Les chercheurs, parfois militants, ont examiné prioritairement les questions juridiques et institutionnelles, les méthodes pédagogiques, les apports du bilinguisme... Les quelques études abordant les motivations concernent les calendretas, écoles immersives où tous les enfants étudient en occitan. Elles portent sur la capacité de l'immersion linguistique à compenser le manque de transmission familiale (Boyer, 2006), les représentations de l'occitan par les collégiens issus de calendretas (Dompartin-Normand, 2002), les représentations sociales de la culture occitane chez les élèves des calendretas (Andreo-Raynaud, 2020).
L'enquête OPLO précitée aborde cependant la question du rapport à la langue ainsi que des motivations ayant conduit à cet apprentissage mais de manière essentiellement quantitative et à partir d'une base faible pour cet item (318 répondants) au regard de l'aire géographique étudiée (Occitanie, Aquitaine, Val d'Aran).
En examinant motivations, choix et engagements dans la durée, cette monographie vise à enrichir ces approches à partir d'enquêtes quantitatives et qualitatives auprès d'enfants et parents à Saint-Affrique (Sud-Aveyron), première ville (8 0000 habitants) à proposer un cursus complet bilingue en occitan à l'école publique. Ce parcours de la maternelle à la terminale, mis en place à partir de 1989, accueille aujourd'hui environ 250 élèves.
Pour mieux comprendre le rapport à la langue, l'étude porte notamment sur :
- L'articulation entre motivations parentales et parcours territorial et linguistique de la famille, souvent sur plusieurs générations.
- L'impact du contexte institutionnel et éducatif, et notamment de l'offre scolaire, de l'image du bilinguisme, des méthodes d'enseignement et du projet pédagogique dans la décision des parents d'inscrire leurs enfants en classe bilingue.
- La persistance de cet engagement sur plusieurs années dans un contexte social et scolaire monolingue, les enfants en cursus bilingue étant minoritaires dans leur école.
Le rapport à la langue s'inscrit dans l'histoire individuelle, familiale et sociale. Il révèle les relations au territoire, au temps : nostalgie, retour aux sources, redécouverte, affirmation de son identité, de son histoire. Les néo-sud-Aveyronnais peuvent être attirés par le bilinguisme, mais aussi par la culture du lieu où ils ont choisi de résider ou bien être désireux de s'ancrer, de s'insérer dans ce nouveau lieu de vie. Quelques-uns sont issus d'une autre culture régionale, voire d'un pays autre que la France.
La motivation de transmettre, recréer ou construire ce lien avec l'occitan, langue peu usitée, résulte de ce parcours biographique et d'un rapport particulier à la transmission, à l'identité, à l'imaginaire, au récit de soi mais aussi d'un lien affectif à la langue, à ses sonorités et à sa manière de dire le monde. L'inscription, ou pas, de ses enfants en classe bilingue s'appuie aussi sur l'analyse de l'offre éducative et de la place de la langue dans le contexte social.
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