14-17 jun. 2021 Montpellier (Francia)
La nasalisation dans le nord-occitan de la Drôme
Michela Russo  1, *@  , Corina Curchi  2@  , Jimmy Josseron  2@  
1 : Université Jean Moulin Lyon 3 /UMR 7023 CNRS Paris 8
Université Lyon 3
2 : UJM Lyon 3
Université Jean Moulin - Lyon 3, Université Jean Moulin - Lyon 3
* : Autor correspondiente

Dans le département de la Drôme en région Auvergne-Rhône-Alpes l'occitan et le francoprovençal cohabitent. Les parlers de la Drôme occitane appartiennent au domaine linguistique du nord-occitan. Bien qu'un nombre d'isoglosses séparent l'occitan et le francoprovençal de façon claire, il est plus difficile de tracer une isoglosse pour ce qui concerne les mécanismes de nasalisation. Le trait prototypique du francoprovençal, la nasalisation des voyelles hautes, semble à première vue absente dans la Drôme occitane ; la situation est, toutefois, plus complexe.

Dans la Drôme occitane, comme dans les autres dialectes occitans, l'on constate bien un état de nasalisation. On trouve par exemple la nasalisation des voyelles /a/ et /ɛ/ (du latin A, Ĕ) : [pɑ̃] ‘pain', [tɛ̃] ‘temps' (Bouvier 1966). Les voyelles hautes ont majoritairement échappé à la nasalisation et la consonne nasale finale est assez régulièrement effacée [vi] ‘vin', [mezu] ‘maison', [razi] ‘raisin'. À côté de la Drôme, au nord de l'Isère, nous sommes plus proches de la frontière francoprovençale et la nasalisation semble plus avancée. En position finale toutes les voyelles nasales sont nasalisées sans trace de la consonne, une situation qui contraste fortement avec le sud de l'Isère.

Quel est l'état de la nasalisation dans le domaine où ces deux langues régionales cohabitent ?

Dans cette communication, nous allons analyser les mécanismes de nasalisation entre l'Isère, la Drôme et l'Ardèche afin de saisir le début de la nasalisation de /i u/ (trait typiquement francoprovençal) dans la zone de transition entre les deux langues, ainsi que les différentes étapes de nasalisation qui touchent aussi la zone occitane. Nous allons également évaluer la pénétration des formes françaises en [ɛ̃] et le rôle de la nasalisation progressive dans les formes drômoises de type [nəˈvõ] ‘neveu'.

Nos points d'enquêtes sont établis à partir de l'Atlas linguistique de la France (ALF) et des Atlas Linguistiques par Région. Ainsi dans une carte comme celle de l'Ally n° 372, l'Atlas Linguistique du Lyonnais ‘chien/chienne', en Ardèche nous avons aux pts 73 (Ardoix), 70 (Boulieu), 74 (La Louvesc), 71 (Vanosc), 75 (Vion) les formes occitanes non nasalisées de type [tsi] MSG ‘chien' et [tsino] FSG ‘chienne'.

En Isère aux pts de l'Ally 65 (Clonas), 51 (Feyzin), 63 (Jardin), 52 (Marennes), 64 (Pommier), nous avons en revanche les voyelles nasales [ʃɛ̃]/[θɛ̃] ([θ] pts 52 et 64) MSG ‘chien' et [ʃina]/[θina] FSG.

La gradation entre la réalisation occitane et francoprovençale est visible pour l'Isère également à partir de l'ALF (carte n° 277) où l'on trouve aux pts 829 (Clonas-sur-Varèze), 912 (Saint-Priest), 921 (Saint-Jean-de-Bournay), etc. [ʃɛ̃] ou [θɛ̃], mais on trouve la réalisation non nasale attendue en occitan au pt 950 (Le Bourg-d'Oisans) [tsi] et au pt 849 (Le Monestier de Clermont) [ʃi].

Dans la Drôme la gradation entre francoprovençal et occitan est évidente à partir de l'ALF aux pts 920 (Le Grand-Serre) [ʃɛ̃], 838 (Saint-Nazaire-en-Royans) [ʃɛ̃], aux pts 837 (Chabeuil), 847 (Die), 836 (Marsanne), 857 (Luc-en-Diois)
844 (Pierrelatte), 855 (Nyons) [tsi] ou [ʃi].

Dans l'axe de la Drôme Montélimar-Dieu-le-fit, signalé par Bouvier (1966), on rencontre encore d'autres spécificités : le /n/ après les voyelles hautes /i u/ ne s'est pas toujours effacé (dans la plaine de Romans -Valence et dans la vallée de la Drôme), et se combine en époque moderne avec un début de nasalisation de la voyelle. Ce type de nasalisation se rapproche beaucoup de la nasalisation francoprovençale des parlers foréziens (Straka 1955 : 270). On trouve un début de nasalisation de la voyelle finale tout le long des frontières de la Drôme (par ex. Chambrillan) sous forme de diphtongues [raˈzjẽⁿ] ‘raisin', même si dans la majorité des cas le /i/ est resté intact avec dans quelques cas la consonne nasale prononcée comme une articulation affaiblie [veˈriⁿ] ‘venin' ou zéro [vi] ‘vin', etc. Nous sommes face donc dans cette zone à des triples formes du type ‘dans' [djẽⁿ/dĩ], mais aussi [din] et [di] (Bouvier 1966).

Dans certains cas la nasalisation semble avoir une valeur morphologique : von Wartburg (FEW 7, 95a) a fait remarquer que nevon attesté en ancien dauphinois à Grenoble en 1338 est une forme morphosyntaxique correspondant à un cas régime (latin NEPOS). Bouvier (1966 : 129) fait remarquer la forme occitane nebon dans une charte du XIIe siècle localisée à Valence (1160 Brunel n° 98 ; FEW ib.). Dans la Drôme occitane la forme nebon serait donc une forme très ancienne, qui aurait connu dans le passé une extension plus large (aujourd'hui dans la Drôme nous avons [nəˈvõ] pts 838 et 920, ALF 907 ‘neveu'). Cette réalisation morphologique de la nasale dans les données médiévales semble reflétée dans la situation actuelle : à Trièves, au sud de l'Isère, il existe une opposition morphologique par exemple entre [jaˈnu] SG ‘genou' et [jaˈnũ] PL ‘génoux'.

Nous allons explorer les paradigmes morpho-phonologiques de ce type où la nasalisation est traitée comme un morphème. L'analyse des données montre en général qu'il y a une très forte tendance à la nasalisation dans la partie septentrionale du domaine nord-occitan. Nous proposons de cibler ce processus d'un point de vue géolinguistique et de saisir son fonctionnement phonologique et morpho-phonologique.

 

Références

Bouvier, Jean-Claude (1966). Quelques aspects de la diversité phonétique dans la Drôme provençale : remarques sur la nasalisation, Revue de linguistique romane 30, 122-133.

Burger, Michel (1964). La nasalisation spontanée dans les dialectes de la plaine vaudoise et fribourgeoise, Revue de linguistique romane, 28.111-112, 290-305.

Ronjat, Jules. (1930-1941). Grammaire (h)istorique des parlers provençaux modernes. 4 vols. Montpellier: Société des Langues Romanes.

Rostaing, Charles. (1951). Phénomènes de nasalisation en provençal. Mélanges de linguistique offerts a Albert Dauzat par ses éleves et ses amis. Paris: Editions d'Artrey. 275-278.

Sampson, Rodney. (1999). Nasal Vowel Evolution in Romance. Oxford: Oxford University Press.

Straka, Georges (1955). Remarques sur les voyelles nasales, leur origine et leur évolution en français, Revue de Linguistique Romane 19.75-76, 245-274.

Straka, Georges. (1979). Remarques sur les voyelles nasales, leur origine et leur évolution en francais. Les sons et les mots, Paris: Klincksieck, 501-531.


Personas conectadas : 61 Privacidad
Cargando...