Colloque international « Langue et Territoire », Montpellier 14-21 juin 2021
Proposition de communication sur le thème Langue, Territoire et Littérature
Cet obscur objet du désir : l'Occitanie comme État-Nation
dans les romans policiers de Joan Ganhaire
L'Occitanie n'a jamais été constituée en tant qu'État. L'occitan qui donne à ce territoire sa cohérence y côtoie des langues plus largement parlées devant lesquelles il s'est peu à peu effacé. Depuis des siècles les écrivains en occitan luttent pour la reconnaissance de leur langue et de la littérature à laquelle elle a donné naissance. Joan Ganhaire, auteur contemporain en dialecte limousin, s'inscrit dans cette lutte. Dans les huit romans policiers qu'il a publiés de 2004 à 2020, il fait émerger peu à peu une Occitanie utopique bâtie comme un État-Nation, dont la principale caractéristique est qu'on y parle occitan et non français. Nous nous proposons d'analyser la manière dont cette Occitanie fictive est construite et les sens que peut avoir cette construction.
L'espace mental dans lequel Joan Ganhaire fait entrer son lecteur est un espace en double tension : une première tension, géographique, entre un point central bien identifié où se noue l'action, et un territoire occitan de plus en plus flou au fur et à mesure qu'on s'éloigne de ce point central ; une seconde tension qui s'établit entre l'espace réel qu'identifient facilement les lecteurs de l'écrivain et l'espace virtuel que celui-ci lui superpose. Le point central est Maraval, petite ville imaginaire, préfecture du département de Nauta-Dordonha. C'est un double littéraire de la ville de Périgueux, que rappellent ses monuments, son histoire, ses quartiers ou certains noms de rue. Le commissaire Darnaudguilhem et son équipe d'inspecteurs la connaissent comme leur poche. Le territoire occitan en revanche n'est souvent suggéré que par quelques toponymes, principalement lors des conversations téléphoniques que les policiers ont avec leurs collègues qui travaillent dans d'autres villes. Il est rarement évoqué dans son entièreté. Au fil des romans émerge un État-Nation nommé Occitanie, dont les structures sociales et administratives sont pratiquement identiques aux structures françaises. Ce pays aux contours indécis n'a pas de capitale.
Dans cet État imaginaire, l'occitan, langue nationale, coïncide avec le territoire où il est parlé. Cette fiction permet à l'écrivain de faire advenir la justice en donnant à cette « lenga maudicha » la place qu'il pense devoir être la sienne. Là s'arrête cependant la fonction réparatrice d'une Occitanie rêvée qu'il imagine multiculturelle et polyglotte, en proie pourtant aux mêmes conflits et aux mêmes violences que les autres pays du monde, et notamment la France à laquelle elle tend un miroir sans indulgence. Les mêmes histoires sordides s'y déroulent et le Mal y est partout présent, car il est inhérent aux sociétés humaines. Faire advenir une Occitanie réelle ne parviendrait pas à l'éradiquer.