Résumé
Le centre ou la capitale[1] d'un pays exerce un poids important dans l'imposition de la langue du centre sur tout le territoire au détriment des variétés régionales qui se trouvent souvent défavorisées et marginalisées. En revanche, les enjeux actuels des études sociolinguistiques considèrent toutes les langues et tous les parlers présents sur le territoire d'un pays comme une richesse et visent à les protéger et à les valoriser.
Au Maroc, en cette dernière décennie, plusieurs voix et tentatives de normativisation et de normalisation d'un arabe marocain « commun », « uniforme » ou « central » émergent. Or, ce parler n'a pas d'existence en authenticité vu la multiplicité des parlers arabes du Maroc (le parler jebli au Nord-Ouest, le parler de l'Haouz, le parler de Tadla-Ouerdigha, le parler du Maroc central, le parler des Zaër, le parler du Maroc oriental et le parler hassane au Sud). À cet égard, plusieurs interrogations s'imposent : existe-t-il un standard polynomique qui pourrait être attribué à l'arabe marocain ? Que dire de la nature « multi » de l'arabe marocain ? Y a-t-il un intérêt de normaliser une langue qui n'existe pas concrètement sur le territoire ? Quelle politique de territorialisation envisagée pour maintenir et protéger les variétés régionales ?
Moyennant deux concepts définis par Bulot (2001) et Messaoudi (2019), la « centralité linguistique » et la « territorialisation linguistique » et en les alimentant par des données linguistiques recueillies dans des monographies et des descriptions des différents parlers arabes du Maroc, nous tenterons d'interroger les différentes manières d'approcher l'arabe marocain et ses différentes variétés. Plus précisément, nous essayerons de confronter deux conceptions de considérer l'arabe marocain. La première vise à normativiser et à normaliser un arabe marocain commun ou de référence, la deuxième considère la nature « multi » de l'arabe marocain comme une richesse et vise plutôt à valoriser la multiplicité des parlers arabes du Maroc.
Mots-clés : territoire, arabe marocain, centralité linguistique, territorialisation linguistique, normativisation et normalisation linguistique.
Bibliographie
Bennis S., 2016. « Opérationnalisation du paradigme de la diversité au Maroc : vers une territorialisation linguistique et culturelle ». Arabic Varieties : Far and Wide. Proceedings of the 11th International Conference of AIDA – Bucharest (2015), G.Grigore & G. Bițună (eds.), Bucharest : Editura Universității din București, p. 119-125.
Boyer H., (dir.), 1996. Sociolinguistique, territoire et objets. Lausanne : Delachaux et Niestlé.
Boukous A., 2019. « Dynamique du champ langagier et recomposition territoriale », Langue et territoire. Regards croisés = Al-lughah wa al-majāl. Ru'aa mutaqāṭi‘at, Collections : Human Sciences Monograph Series 24, p. 79-101.
Bulot, T., 2006. « La production discursive des normes : centralité sociolinguistique et multipolarisation des espaces de référence », Journal of French Language Studies, vol. 16, no 3, p. 305-333.
Calvet L-J., 2019. « des frontières et des langues », Langue et territoire. Regards croisés = Al-lughah wa al-majāl. Ru'aa mutaqāṭi‘at, Collections : Human Sciences Monograph Series 24, p. 21-40.
Messaoudi, L., 2019., 2019. « Quels concepts pour aborder le terrain urbain maghrébin ? », Langue et territoire. Regards croisés = Al-lughah wa al-majāl. Ru'aa mutaqāṭi‘at, Collections : Human Sciences Monograph Series 24, p. 59-78.
[1] À titre d'exemple, Rome, à l'époque de l'Empire romain, a mis en place un processus de centralisation linguistique dont le résultat était la latinisation du tout le territoire conquis et cela au détriment des langues locales des régions conquises. De même, le français qui était d'ailleurs un dialecte roman parlé en Île-de-France a été imposé comme la langue de toute la France.