L'abord historique du territoire mahorais permet de comprendre la co-existence actuelle de langues émanant d'aires culturelles distantes mais également l'usage contemporain de deux graphies (alphabet latin et alphabet arabo-perse) à l'image d'autres territoires d'Afrique subsaharienne. Ainsi, depuis mars 2020, Mayotte compte deux graphies officielles pour ses langues historiques, le shimaore et le kibushi. Cette étape participant a priori à la standardisation de langues considérées comme orales et sujettes à une importante variation et à une hybridation du fait des contacts avec le français va-t-elle participer à un changement de leur statut officiel ? La coexistence de deux alphabets dans un contexte plurilingue où le français domine l'écosystème linguistique et en particulier la sphère écrite appelle à une historicisation de l'usage de l'écrit. Comment expliquer la présence et surtout le maintien de la graphie arabo-perse dans un territoire pour lequel les politiques linguistiques françaises contraignent l'usage des langues mahoraises ?
Le paradigme postcolonial invite par ailleurs à reconsidérer le discours sur la littératie de la population – ou même l'analphabétisme – à l'époque contemporaine et à interroger les usages individuels de ces graphies : qui lit, écrit et utilise chacune des graphies ? La graphie arabo-perse peut-elle être considérée comme un patrimoine du territoire mahorais ? Quels sont les usages de la graphie arabo-perse dans la sphère publique, des administrations à l'école, lieu par excellence de diffusion et de domination de la langue officielle, le français ?
Cette communication a pour objectif de répondre à ces interrogations en proposant tout d'abord une approche historique du plurilinguisme oral et écrit de Mayotte, ce territoire insulaire de l'océan Indien. La coexistence actuelle de deux institutions éducatives, l'une laïque et l'autre religieuse, sera ensuite abordée afin de montrer d'une part les effets de la double scolarisation d'une majorité des enfants mahorais (école républicaine et école coranique) et d'autre part les potentiels que constituent cette superposition des cultures éducatives au plan interculturel et des apprentissages langagiers. Enfin, les enjeux de la standardisation, de la diffusion et du maintien du shimaore et du kibushi à travers le prisme de l'écrit seront abordés afin de proposer un regard neuf sur les effets des contacts des langues.
Bibliographie succincte :
Cassagnaud, J. 2007. Mayotte, ces langues qui écrivent ton histoire. Saint Denis : Connaissances et savoirs.
Cosker, C. 2017. L'élève de Mayotte entre deux écoles : comparaison didactique de l'école coranique à l'école française. Langues et Usages, 1. 242-252
Dewière, R. et Bruzzi, S. 2019. Paroles de papier. Matérialité et écritures en contextes africains. Cahiers d'études africaines, 236 http://journals.openedition.org/etudesafricaines/2728. 951-966.
Dureysseix, F. 2020. Teacher's Curriculum Contextualisation in an overseas French territory: how can local specificities be acknowledged within the education system? In. L. Gardelle & C. Jacob (dir.). Schools and national identities in French-speaking Africa: political choices, means of transmission and appropriation. Londres : Routledge.
Laroussi, F. & Liénard, F. (Dir). 2011. Plurilinguisme, politique linguistique et éducation : Quels éclairages pour Mayotte ?Mont-Saint-Aignan : Presses universitaires de Rouen et du Havre. https://books.openedition.org/purh/5174
Maturafi, L. 2019. Le français et le shimaoré à Mayotte : influences réciproques. Thèse de doctorat. Université Paul Valéry Montpellier 3.
Oumar, A. H. 1997. Histoire des îles : Ha'Ngazidja, Hi'Ndzou'ani, Maïota et Mwali. Moroni : Djahazi.