Nous voudrions à travers cette communication interroger l'appellation « langues de France » et les politiques qui les accompagnent au regard de la problématique spécifique du « territoire », en mettant en exergue deux réalités distinctes et ce qui apparaît déjà comme une possible contradiction.
D'une part, les langues dites « régionales » relèvent de réalités que l'on peut qualifier de socioculturelles, relativement bien identifiables d'un point de vue territorial. D'autre part, l'État, territoire éminemment politique, soumet les langues « de France » à un processus de « déterritorialisation » (Colonna, 2020) qui en fait des réalités fondues dans une abstraction républicaine. Le français est, quant à lui, (sur)imposé sur l'ensemble du territoire politique régi par l'État. Or l'une – si ce n'est la principale – des singularités desdites « langues de France » consiste justement à avoir un ancrage territorialisé qui ne correspond pas au territoire administratif « France ». Cette déterritorialisation contribue à les incorporer à un univers non plus géographique ou culturel mais politiquement construit où la position monopolistique de la langue française est assurée (ibid.).
Nous pouvons illustrer les fondements de cette logique (dé)territoriale étatique (Ottavi, 2020) à travers deux rapports importants dans l'univers des politiques linguistiques en France, aux origines de l'appellation « langues de France » : Carcassonne (1998) et Cerquiglini (1999).
Carcassonne écrit, par exemple, en associant les « langues de France » au patrimoine, la chose
suivante : « Mais ce patrimoine est la propriété indivise de chaque nation, et non la propriété, fractionnée, de chaque langue au profit de ses seuls locuteurs qui n'en sont, si l'on peut dire, que les usufruitiers ». (Carcassonne, 1998 : § 166). Avec Cerquiglini, ancien directeur de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, nous retrouvons explicitement cette inclinaison à la déterritorialisation lorsqu'il écrit notamment au sujet de la notion de « Territoire » : « On peut faire valoir que la territorialisation systématique, issue du romantisme allemand qui inspira la linguistique du XIXe siècle, s'oppose en outre : [...] aux principes républicains français, qui tiennent que la langue, élément culturel, appartient au patrimoine national ; le corse n'est pas propriété de la région de Corse, mais de la Nation ». Et d'ajouter que d'un point de vue davantage scientifique selon le rapport, « [...] le vrai territoire d'une langue est le cerveau de ceux qui la parlent » (Cerquiglini, 1999).
Partant des fondements idéologiques étatiques et d'une approche historiographique et patrimoniale relativement contemporaine, constitutive de la notion de « langues de France » et du territoire sociolinguistique et politique de ces dernières, c'est le rapport actuel entre « langue et territoire » du français et des minorités que nous réinterrogerons.
Mots-clés : Minoration ; patrimoine ; « langues de France » ; déterritorialisation ; État ; langue française
Références
Carcassonne Guy, (1998), Étude sur la compatibilité entre la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Constitution : rapport au Premier ministre.
Cerquiglini Bernard, (1999), Les langues de la France, Rapport au Ministre de l'Education Nationale, de la Recherche et de la Technologie, et à la Ministre de la Culture et de la Communication, Avril 1999, [en ligne].
Colonna Romain, (2020), « Les "langues de France" : des langues non-étatiques au pays de
l'État-nation », Glottopol, revue de sociolinguistique en ligne, n°34, Christian Lagarde (dir.), Les « langues de France » : vingt ans après, juillet 2020, p. 91-105.
Ottavi Pascal, (2020), « L'épervier, la cage et le passereau », Glottopol, revue de sociolinguistique en ligne, n°34, Christian Lagarde (dir.), Les « langues de France » : vingt ans après, juillet 2020, p. 161-175